Paradoxalement, le premier jardin est sans doute sorti du fond
des sables, dans l'une des contrées les moins hospitalières de notre planète : la Mésopotamie. C’est là que, il y a environ quatre mille ans, l'homme eut l’idée d’exploiter le palmier et de l’aider à se reproduire. En limitant l’évaporation de l’eau, il créa des zones de végétation et utilisa cette conquête encore fragile pour s’entourer de beauté, avant même de penser en tirer un surcroît de nourriture.
De ce lointain passé sont nés les fameux jardins de Babylone, une des sept merveilles du monde, que le goût immodéré de la poésie développé par toute tradition orale qualifia de « suspendus ». Ancêtres de nos « restanques » provençales, les jardins babyloniens étaient en fait construits sur des terrasses de maçonnerie qui montaient jusqu’au sommet des collines arides bordant l’Euphrate. Le sol de ces terrasses destinées à recevoir une épaisse couche de terre végétale était composé de tessons et de larges dalles de pierre, sur un lit de bitume quasiment étanche. Sur chaque esplanade, des plantations de palmiers protégeaient de leur ombre peupliers, pins, tamaris et fleurs aux couleurs chatoyantes. La tradition attribue ces jardins à Sémira-mis, reine légendaire d'Assyrie et de Babylonie, alors que ces oasis de fraîcheur rendaient vraisemblablement un vivant hommage à Ish-tar, déesse de l'Amour et de la Vie. À l'image des Assyriens, les Égyptiens eurent aussi leurs jardins, en fait des vergers. Ils fleurissaient dans les méandres des canaux du Nil, univers aquatique où les jardiniers parvinrent à domestiquer l'eau à des fins ornementales. De multiples bassins, fleuris de nénuphars et bordés de papyrus, composèrent alors un microcosme où alternaient paysages agrestes et limons fertiles. Les animaux sauvages, oies et grues couronnées, attirés par l'eau, contribuaient à l'embellissement des jardins, lieux de délices où princes, piètres et "hauts fonction-
naires du pharaon venaient passer des heures paisibles à l'ombre des orangers, des sycomores et des palmiers. Les sujets du pharaon s’accordaient ainsi un surcroît de bonheur dans le monde, en recréant en un seul endroit les spectacles raffinés que dispensaient les eaux du fleuve sacré tout au long de son parcours.
Au vie siècle avant J.-C., les Perses achéménides, à l'apogée de leur puissance, furent également des créateurs de jardins. À la différence des jardins babyloniens et égyptiens, ceux des Perses étaient de vastes parcs où, parmi les grands arbres et les massifs chatoyants, leur instinct guerrier se satisfaisait des plaisirs de la chasse. Antilopes et panthères y vivaient librement avant de tomber sous les flèches des chasseurs abrités des fauves dans des pavillons construits au cœur des arbres. L’accès au Par-desh était exclusivement réservé aux rois et à ses gouverneurs, les satrapes.
Les Grecs, quant à eux, ne connurent pas d'engouement particulier pour les jardins, mis à part les « bois sacrés », Ils exprimèrent leur génie dans la solidité du marbre plutôt que dans la fragilité des plantes. Les Romains, pourtant peuple de laboureurs, n’en firent pas non plus grand cas dans les premiers siècles de l'Empire. Il fallut attendre les empereurs du début de la décadence pour que les collines de la Ville éternelle et les côtes de la mer Thyrrhénienne se couvrent de somptueux jardins. Ils réconcilièrent le marbre et la nature en unissant harmonieusement maisons et jardins. Des colonnades héritées des Grecs ménageaient des transitions entie ta maison, \es constructions agrestes disséminées dans le domaine, et la nature ordonnée par les soins de jardiniers.
Des plus lointaines provinces d'Orient arrivaient des esclaves, bientôt affranchis, qui apportaient les traditions florales de leurs pays. De cet heureux mélange allaient naître des jardins pittoresques où statues, cascades, canaux et rotondes descendaient vers les lacs artificiels entourés de massifs d'arbres aux essences rares. Les provinces conquises envoyaient des variétés de fleurs d’une rare beauté que les Romains ne parvinrent malheureusement pas toujours à acclimater. Leur innovation résidait surtout dans l'importance qu’ils donnèrent aux couleurs. Ainsi, les fleurs, groupées en massifs habilement composés, jaillissaient en bordure des allées pavées, ou en cascade sur îles pentes des collines.
Aucune de ces merveilles ne survivra aux invasions barbares, et il faudra attendre le retour des croi-sés pour que renaisse le goût des jardins luxuriants et savamment orchestrés.
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